Joseph de Galard de Saldebru, dernier abbé de Saint-Maurin

Surprenant intérêt que celui qui est porté à Joseph de Galard de Saldebru, dernier et bref abbé de l‘abbaye de Saint-Maurin . Il porte un nom illustre mais sa conduite n’a guère de noblesse, prêtre il n’est pas saint homme, tenace et éventuellement téméraire il adopte une fois arrêté une défense pitoyable qui renie famille et religion. Elle ne le sauvera pas ; victime de la révolution mais pas martyr, il est exécuté le 17 février 1794 à Bordeaux. L’homme apparaît ainsi plus médiocre qu’intéressant. Pourquoi est il alors le plus connu des abbés de Saint-Maurin ? Sans doute parce qu’il en a été le dernier et que, ironie du temps, il a été emporté par une tourmente nationale dont il avait par son attitude à Saint-Maurin suscité des prémices locales..

Sa lignée et ses débuts

Joseph de Galard de Saldebru naît en 1739 dans un une famille qui remonte au IXème siècle, brillamment apparentée et dont maint membre assura des charges importantes, militaires (1), religieuses ou civiles. Les Galard de Saldebru sont une branche des Galard-Brassac qui apparaît au début du XVIIème siècle avec Charles-Amaury (2), son trisaîeul, dont la mère, qui descend des Lustrac, famille qui a donné des abbés à Saint-Maurin, apporte Saldebru (3). Sa mère est Anne de Geniès du Sap (4).
Si les Galard de Saldebru pouvaient tirer vanité de cousins prestigieux ils ne vivotaient que du modeste produit de leur petit domaine de Salle de Bru ou Saldebru sur Perville (photo du château ci-dessus) et du secours d’un frère curé. Celui-ci fournit à Joseph de Galard les premiers moyens de son éducation et lui obtint une place gratuite au Petit Séminaire de Cahors. Galard devint prêtre, vicaire de Montjoi puis curé de Sainte-Croix. Modestes cures mais la protection de la branche aînée des Galard-Terraube, de grand crédit à la Cour, lui obtint un canonicat au chapitre de Notre-Dame de Paris, bénéfice qu’il échangea contre la grande chantrerie de Lectoure quand il en fut vicaire général. Il devint aussi prieur commendataire du prieuré royal de N-D. du Fief Saurin (diocèse d’Angers) et de celui de Louesne (diocèse de Langres).

Marie-Joseph de Galard de Terraube, frère de Joseph

Blason de la famille de Galard de Terraube

Abbé commendataire de Saint Maurin

C’est alors qu’il songea à l’abbaye de Saint-Maurin dont son père avait été l’amphytéote. La protection royale des Galard-Terraube obtint que le titulaire, Joseph de Crémaud d’Entraigues, vicaire général de Bordeaux, voulût bien se démettre moyennant condition expresse de 5000 livres de rentes. Le 2 novembre 1783, (heureuse Fête des morts), devant imposante assemblée, il « …est mis en possession corporelle, réelle et actuelle de la dite abbaye et de tous ses droits, appartenances et dépendances…. ». La bannière de Galard «  d’or à trois corneilles de sable becquées et membrées de gueules » flotte sur la tour abbatiale. **
Mais les bénéfices de l’abbaye n’étaient que de 3600 livres. Entendant alors que Saint-Maurin se suffît à elle-même, le nouveau seigneur-abbé, décida de réduire drastiquement la mense des moines, de rejeter entièrement sur les consuls les frais de justice, d’élever les dîmes et d’affermer à son profit unique certains biens communaux de la juridiction ; les environs se mirent à retentir des doléances des moines et des vassaux de l’abbé.

Une telle économie** lui permit l’acquisition d’une jolie maison de campagne, Valende à 2,5 km de Saint-Maurin à gauche sur la route de Bourg de visa , pour la quelle il quitte Saldebru. Il demanda alors à la communauté de Saint-Maurin de réparer les chemins du Bourg et de Brassac. Le refus fut le départ de relations orageuses d’une violence croissante. Tout dans l’administration de la juridiction devint cause de cabales, de maint procès où les droits de l’abbé furent pour l’essentiel reconnus et, sous l’impulsion de quelques meneurs, d’actes de fait.

En 1788 ces querelles intestines semblaient s’amoindrir ; las, les désordres arrivaient bientôt du dehors et l’esprit d’insubordination rejaillit aux dépens de l’abbé.

photo Château de Valende

Château  de Valende

La Révolution venue

En 1789, comme représentant du clergé , il participa à la rédaction du cahier de doléances du Clergé de l’Agenais. ****.
Dès février 1790 le parti opposé à l’abbé se livre à des exactions. En mars la nouvelle loi s’applique, Joseph de Galard est, contre pension ecclésiastique, privé de son abbatiat et de ses bénéfices ecclésiastiques ; il se replie à Valende où il cherche à faire construire une chapelle. Comme prêtre il célèbre à Beauville une fête civique, sans doute celle de la Fédération du 14 juillet 1790***. Dans un premier temps il apparaît que n’étant plus abbé, il n’est pas soumis au serment constitutionnel. A partir d’août 1792 les rigueurs anticléricales se radicalisent ; le 14 est exigée la pretation d’un nouveau serment dit «  Liberté-Egalité » ; le 26 une loi impose aux ecclésiastiques insermentés, dits« non jureurs » ou « réfractaires », de quitter le royaume avant 15 jours. Galard qui se refuse à jurer ne se déplace point. Le 21 mars 1793 la municipalité vient, entendant fouiller sa demeure, il s’y oppose, ferme et armé.

Le 30 mars un arrêté départemental, anticipant la loi du 23 août 1793 (loi des suspects), ordonne l’arrestation de tous les prêtres réfractaires ; 3 jours plus tard un gros détachement de la garde nationale va sur Valende ; mais il est parti.

Fuite et fin

Il se réfugie à Bordeaux, choix malencontreux car le proconsul Tallien et le farouche Lacombe y exercent une « dictature néronienne »**. Il change de nom et devient employé de commerce chez Byrn, négociant. Dénoncé, il est arrêté le 19 décembre 1793 et traduit devant le tribunal révolutionnaire. Celui-ci ,conservant des doutes sur son identité, fait enquêter à Saint-Maurin qui envoie pour l’identifier les citoyens Peros et Labeyrie , « deux vrais sans-culottes » **. Ils ne voulurent pas reconnaître l’abbé, mais une femme, une ancienne maîtresse ou la femme qu’il aurait épousée, « le reconnut pour se venger de son abandon ou pour éviter à son tour de monter sur l’échafaud ».* (5)
Après une incarcération de 59 jours au Fort du Ha, l’abbé de Galard est traduit le lundi 17 février 1794 (29 pluviôse an II) devant le tribunal révolutionnaire ( en fait la commission militaire de Bordeaux!)*** présidé par l’odieux Lacombe.
Son plaidoyer, rédigé par lui-même et simplement lu à l’audience par son avocat officieux Grasset de Saint-Sauveur, est un reniement peu glorieux. : le citoyen Joseph Galard, né par hasard dans une famille noble et contraint d’entrer dans les ordres, a devancé par sa conduite et ses aspirations l’esprit de la Révolution et l’a accueillie avec enthousiasme; il mérite non seulement l’acquittement mais encore l’éloge des autorités révolutionnaires. Il se dit marié, avec une liaison déjà ancienne, à « la citoyenne Dumoulin » dont il a un enfant*** (6).
Cette défense ne lui sert en rien et aurait également perdu son avocat si, magnanime, l’abbé n’en avait pris toute la responsabilité. Il est condamné à mort comme aristocrate représentant du despotisme féodal, pour cause de refus de serment civique, d’outrages et de résistance à main armée envers les magistrats de la République. Le 32ème et dernier abbé de Saint-Maurin est exécuté le jour même.

Une légende macabre

Mais le souvenir de Galard obsède la région et s’enrichit de légendes, celle d’un trésor caché notamment. On dit aussi que l’un des sans culotte qui l’avaient reconnu voyait se dresser chaque soir le spectre de l’abbé portant, à l’instar de saint Maurin, sa tête sous le bras et puis des lueurs aller lentement de Valende jusqu’aux proches Moulineaux. Et Saldebru « vibre encore d’un frisson de terreur superstitieuse au souvenir du disparu …Voyez-vous, Monsieur, disent les habitants, cette maison était maudite depuis Montgommery qui, coupable d’avoir tué son prince avec la complicité de la Médicis, avait cherché un refuge chez nous. »**

Yves Desportes

Notes

(1) Il faut citer ici Hector, chevalier de Saint-Michel,chambellan de Louis XI, capitaine des 120 gentilshommes de sa garde, que Pierre Gringonneur, inventeur du jeu de carte popularisa sous les traits du valet de carreau. « Depuis cette époque, les mâles de cette famille portent toujours Hector parmi leurs prénom » **
(2) Le père de Chales-Amaury, Gaillard de Galard, a épousé en 1579 Françoise de Lézir, fille de Cyprien de Lézir, seigneur de Lézir et de Saldebru et époux de Jeanne de Lustrac, d’une famille qui avait donné entre 1425 et 1550 trois abbés à l’abbaye de Saint-Maurin.
(3) Une plaque de cheminée du château atteste une construction remontant au moins à 1307
(4) Manoir proche de Saldebru sur Perville.
(5) D.Christiaens rapporte en revanche que Elisabeth Dumoulin déploiera un courage peu commun pour sauver son amant et produira une promesse de mariage en date du 25 août 1791, écrite sous seing privé, vraisemblablement forgée pour la circonstance.
(6) Elizabeth Dumoulin, est une fille du notaire royal ayant enregistré en 1783 la mise en possession de l’abbaye. Un jugement rétablira cet enfant, Joseph Galard, dans la succession de son père naturel.

Sources :

*Aymé Vaquier – la Revue de l’Agenais 1905- p548
** Ernest Lafont – Le dernier abbé de Saint-Maurin – la Revue de l’Agenais 1923- pp329/355
*** Daniel Christiaens -Au pied de l’échafaud : le plaidoyer de l’abbé Joseph de Galard
**** M. l’abbé Laffont,Curé du Bugat – bulletin de la SAHTG 1905 T1. Pp 65/94

par | 6 12 2021